jeudi 13 août 2015

3/ PETIT CAMUSART Marcel DUCHAMP (1887-1968) : contexte, influences, grandes lignes II

II- Fin XIXème s., liaison entre Courbet et les avant-gardes modernes
De Courbet et des post-impressionnistes (Cézanne, Van Gogh, Gauguin) vont procéder deux "tendances" fondées sur l'analyse picturale de la perception (de l'acte phénoménologique de percevoir le réel) : 

- Cézanne amorce une première tendance moderne : celle de la recherche de structuration formelle du réel figuré, par plans successifs et géométrisation formelle, qui l'amène à une décomposition des formes.
On peut en faire découler toutes les avant-gardes modernes du début du XXème s. qui recourent à la décomposition/déstructuration formelles : cubistes et futuristes. 
Van Gogh et Gauguin inaugurent une deuxième tendance : celle de l'exaltation chromatique (colorée) du réel figuré, en accentuant les tons et contrastes. 
On peut en faire découler toutes les avant-gardes modernes du début du XXème s qui  exaltent ou décomposent la couleur : le fauvisme, l'orphisme.

Duchamp va absorber ces deux tendances, puis s'y opposer.


II-1 Première tendance issue de Cézanne :


CEZANNE Paul, Montagne Sainte Victoire vue des Lauves, 1942-06, huile sur toile, 60 x 72 cm, Kunstmuseum Basel 

Cézanne traite les formes globalement, par plans colorés juxtaposés aux valeurs très contrastées ; il n'y a plus de perspective, l'espace semble devenir bi-dimensionnel, ramené à la surface du tableau.
Chaque plan coloré de couleur semble correspondre à un état du paysage perçu à un moment précis, immédiatement reporté dans toute sa force sur la toile avant que la paupière du peintre ne se ferme et ne se réouvre sur un autre endroit. Tous les plans colorés ainsi obtenus semblent correspondre aux différents états du paysage perçu, dans une approximation iconique mais dans une justesse plastique, clignement d'oeil après clignement d'oeil. Cézanne dégage les grandes masses de la montagne Sainte-Victoire.
Il procède comme par prélèvements ponctuels de la réalité. Le tableau commence à délaisser sa vocation d'image (recréation ressemblante d'un monde iconique) au profit de la création d'un monde dont la cohérence est interne, plastique.

On retrouve les mêmes effets sur les représentations de personnages. L'unité iconique est perturbée par une décomposition des formes globales en sous unités plastiquement distinctes : par exemple, ci-dessous, zones colorées dans les visages, mains, tissus, nappe.
CEZANNE Paul, Les Joueurs de cartes, 47,5 cm x 57 cm, Huile sur toile, v.1890-1895, Musée d’Orsay, Paris    

Avec Cézanne, la figuration est mise à mal en tant que désir d'exactitude mimétique. Le motif est déconstruit au profit de sa traduction vraie en peinture : tout élément visuel est analysé, déconstruit, géométrisé en formes simples, traduit dans sa nuance propre par l'oeil du peintre, faisant correspondre désormais sa peinture avec la phrase de Maurice Denis : « Se rappeler qu’un tableau – avant d’être un cheval de bataille, une femme nue, ou une quelconque anecdote – est essentiellement une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées » (Manifeste Nabi, 1890). La plasticité devient aussi importante que le sujet du tableau. cf cours de 1ère.
Le peintre montre non plus le réel, mais la la perception même, le fonctionnement du phénomène que constitue la vision. Cézanne peint l'acte phénoménologique de percevoir le réel - c'est-à-dire comment celui-ci est en train d'apparaître sur sa rétine. 


  • Les avant-gardes cubistes procédant de Cézanne :

Les audaces cézanniennes de simplification, géométrisation, structuration plastiques du réel figuré en masses distinctes vont inspirer les cubistes, qui vont pousser ces procédures au maximum. La notion de prélèvements fragmentaires successifs du réel s'accentue, créant une  décomposition en plusieurs états (par exemple : ci-dessous, la forme, puis la matière du violon) et une fragmentation de l'objet peint qui va jusqu'à la métonymie (les volutes du violon pour signifier tout le manche). Ils y ajoutent l'idée de temporalité par la démultiplication du point de vue autour de l'objet peint : par exemple, l'image du verre semble bizarre jusqu'à ce que l'on comprenne qu'il est vu simultanément de dessus et de profil. 
Le temps d'observation du peintre semble ainsi s'inviter dans la figuration : le propre déplacement de l'artiste autour des objets regardés semble matérialisé par ces différents points de vues multiples, juxtaposés, imbriqués, discontinus (comme interrompus par des ruptures d'attention du peintre, ses allers-retours) cf cours de 1ere, Sujet "Zapping". De vraies matières font leur apparition, comme pour donner plus de réalité à ces prélèvements (par ex : le journal, la corde, la toile cirée.) Se concentrant sur des questions de forme, les oeuvres cubistes sont plutôt ternes (camaïeux d'ocres, de gris).
PICASSO Pablo, Compotier avec fruits, violon et verre, 1912 Philadelphia Museum of Art.
Ci-dessous, apparaissent les facettes juxtaposées ou imbriquées cubistes (partie supérieure du tableau) produites par le choix de monter des points de vues multiples sur le bois, le journal, le verre, pipe, citron, couteau probables. La représentation est à la limite de la lisibilité, presque hermétisque.
Enfin, le détournement d'objets quotidiens et de matériaux réels et leur intégration dans une oeuvre bi-dimensionnelle est une trouvaille cubiste (ici : journal, corde, toile cirée imprimée). Ils apportent la force de leur présence dans une oeuvre qui représente le réel.
PICASSO Pablo, La nature morte à la chaise cannée, 1912,  Huile et collage de toile cirée imprimée, entourage de corde servant de cadre, ovale de 29 x 37 cm, Musée Picasso, Paris.
 

  • Les avant-gardes futuristes, par-delà Cézanne :
Chez les futuristes, la visée recherchée est la retranscription du mouvement : celui, non du peintre autour de l'objet (comme chez les cubistes), mais de l'objet lui-même. Par exemple, une voiture en pleine vitesse. Les futuristes emploient le principe de décomposition/décomposition formelle mais avec un seul et même point de vue sur l'objet peint. Ce dernier se fragmente et se démultiplie de manière à évoquer le mouvement (les diverses phases ou séquences du mouvement fixés par la peinture) en deux dimensions.
Mouvement et vitesse, décomposition en plans statiques, juxtaposés formant une séquence sont les maîtres-mots de ces oeuvres.
RUSSOLO Luigi, Dynamisme d'une automobile, 1912-1913, huile sur toile, 106 x 140 cm, Centre Georges Pompidou.

Ci-dessous, la décomposition formelle des pattes et des jambes, répétée en une succession de plans statiques à partir du même point de vue.
BALLA Giacomo - Dynamisme d'un chien en laisse - 1912 huile sur toile, 90,8 × 110 cm, Albright-Knox Art Gallery, Buffalo
  • ...Liens avec Duchamp ? 
- L'introduction du temps et du mouvement dans l'espace pictural est donc le propre de ces deux mouvements artistiques, cubisme et futurisme, et ce de façon différente. Ce sont ces notions qui vont intéresser Duchamp durablement, au-delà des techniques propres à ces deux mouvements picturaux, que Duchamp s'approprie et mélange en de savantes synthèses dans un premier temps.
Sa synthèse "cubo-futuriste", qui ne respecte pas les différences entre les deux mouvements déplaira à certains amis cubistes, et placeront Duchamp en marge des avant-gardes. Il décidera d'aller exposer aux Etats-Unis.



DUCHAMP Marcel, Les joueurs d'échecs, 1911,
Huile sur toile,
50 x 61 cm, Centre G.Pompidou.
ICI : NOTICE D'OEUVRE Beaubourg.

- Dans un deuxième temps, c'est le détournement d'objets et de matériaux réels cubistes qui se trouvera réinterrogé par Duchamp : sous forme de matériaux modernes (cuivre, plomb, verre, velours, latex...), insolites (gaz, air, poussière...), et d'objets du quotidien, artisanaux ou industriels, achetés ou récupérés (boîtes multiples en bois, objets produits en série, lentilles, ampoule de sérum, etc). La question du mouvement et du temps est toujours active (réelle, figurée, décomposée). 

DUCHAMP Marcel, À regarder (l’autre côté du verre) d'un œil, de près, pendant presque une heure, 1918, 
Huile sur papier argenté, gros fil de plomb, et lentilles grossissantes sur un support de verre (brisé)
49,5x39,7cm monté entre 2 nouveaux panneaux de verre, sur socle en bois peint.


Intégration d'un objet (lentille sertie), de matériaux industriels (verre, plomb) et des brisures réelles dans la représentation (tracés manuels, tracés effectués par le hasard), pris en sandwich entre deux panneaux de verre. La surface montre une désunion des points de vue : l'appareil de vision perspective au 1er plan induit que le spectateur se place dans l'axe des trois disques (ce qui est techniquement difficile) ; la pyramide obéit à un tout autre point de vue (en contre plongée) ; la loupe induit que l'on aille voir de près un élément (ce qui est impossible puisqu'on tombe sur le mur) ; l'ombre portée sur le mur rétablit une mystérieuse unité des formes.



- Dans un troisième temps, c'est le thème futuriste de la machine moderne en mouvement qui retiendra l'attention de Duchamp ; son intérêt pour les broyeuses, les moulins à eau, les charriots, etc. Voir plus loin, La Glissière, 1913. 

- Dernière source : pour Duchamp, l'intérêt est porté sur le mécanisme interne de ces machines, ainsi que sur le dessin industriel de leur fonctionnement : ce type de dessin, très plat et stylisé, montre un mouvement potentiel (qui est compris par l'ouvrier qui doit réaliser la machine, bien que représenté de manière codée ; c'est un dessin très "mental". Duchamp parlera de sa recherche dans ses notes de la Boîte Verte d'une "peinture de précision".)

Dessin industriel de frein de vélo, les flèches indiquant les mouvements potentiels de rotation.



Marcel DUCHAMP, Broyeuse de chocolat n° 2, 1914, huile, fil, feuille de plomb 
sur toile, 65x54 cm, Philadelphia Museum of Art.




II-2 Deuxième tendance issue de V. Gogh et Gauguin
Avec eux, l'enjeu est moins une question de forme que de couleur.
En effet la forme est chez eux stylisée, simplifiée, mais la couleur a un rôle autrement plus important. Elle se réduit en tons purs ou complémentaires, plastiquement dynamiques, s'éloignant du ton local jusqu'à le modifier totalement. C'est la couleur qui met l'oeil du spectateur en mouvement. D'autre part, comme chez Courbet, c'est la pâte chromatique qui génère la forme, sans tracé préliminaire ni contour autre que la trace laissée par le pinceau. Forme et couleur sont obtenues simultanément, ce qui renforce l'impact de la couleur (non soumise au dessin, libérée du contour.) Exemple chez Van Gogh (ci-dessous) : le soleil, les rayons et la lumière ne font qu'un, les herbes et la bande de ciel bleu ne sont que matières et touches de couleur. 

La leçon explicite de Gauguin aux Nabis est : "Ne prélever dans la nature que ce qui est nécessaire au tableau", éviter la simple copie et préférer plutôt de larges aplats de couleur pure. "Comment voyez-vous cet arbre ; il est vert ?Mettez donc du vert, le plus beau vert de votre palette. Et ceux-ci, ils sont jaunes ... eh bien, mettez du jaune. Et cette ombre, plutôt bleue ? Ne craignez pas de la peindre aussi bleue que possible ...Ces feuilles sont rouges ? Mettez du vermillon." 
Oser la couleur pure sortie directement du tube, s'éloigner même du réel, c'est laisser la peinture gagner son autonomie. Libérée du ton locallibérée du trait de contour, c'est elle qui devient le sujet du tableau, qui désormais obéira à ses propres lois internes. 
VAN GOGH Vincent, Saules étêtés au soleil couchant, 1888, toile sur carton, 32X35cm, Rijksmuseum Kröller-Muller, Otterlo.


GAUGUIN Paul, Arbres bleus, 1888, huile sur toile, 73x92cm, Ordrupgaard Collection, Copenhague.



  • L'avant-garde fauve procédant de Van Gogh et Gauguin :
Van Gogh, Gauguin et les Nabis vont inspirer les peintres fauves du début du XXème s. (1905) qui se servent de la couleur comme moyen essentiel d'expression. Avec les fauves, la couleur est exaltée, elle "rugit" (cf cours de 1ere, Diaporama Ciel), libérée du ton local, autonome de toute contrainte de ressemblance au réel. Le dynamisme des tons purs ou complémentaires est abondamment utilisé, à des fins de suggestion de sensation (exemple ci-dessous : chaleur intense) ou de mouvement purement plastique (l'oeil "rebondit" d'un couple de couleur à l'autre, propulsé par la vigueur des contrastes de tons complémentaires. Ex : rouge/vert, orange/bleu.) 
Avec les fauves, la pâte chromatique épaisse et sans repentirs accentue la trouvaille de Van Gogh : elle constitue la forme, directement, par masses, sans tracé préliminaire, quitte à primer sur la lisibilité du sujet représenté (les personnages ici bien que marqués de gros cernes sont engloutis dans la couleur, les formes du bateau de l'arrière-plan et de la terre lointaine s'y dissolvent). Quelques traits de contours épais et colorés soulignent le forme, ou participent à sa déstructuration (barques, figure du 1er plan).
DERAIN André, Bateaux à Collioure, 1906-1907, huile sur toile.

  • L'Avant-garde de l'orphisme (ou simultanéisme) procédant de Van Gogh et Gauguin :
Delaunay est l'un des représentants de ce mouvement dont le nom indique l'intérêt total pour la lumière (Orphée, "poète lumineux", à la musicalité pure) qui vient décomposer les formes du tableau. Elle se diffracte en pans et facettes colorées. Toutes les parties colorées se perçoivent d'un même regard, les facettes triangulaires sont autonomes du sujet - qu'on a du mal à discerner dans un premier temps. Elles construisent une tension spatiale dynamique, entre creusement et planéité, effet de proximité ou de lontain. La série des Fenêtres (1912) annonce la naissance de l’orphisme, proche autant des cubistes que de l'abstraction. 

"J’eus l’idée à cette époque d’une peinture qui ne tiendra techniquement que de la couleur, des contrastes, mais se développant durant le temps et se percevant simultanément, d’un seul coup » (Delaunay).
On retrouve avec Les Fenêtres la question de la double temporalité des cubistes/futuristes : temps d'observation du peintre qui tourne autour de son objet (les couleurs construisent un ensemble à voir d'un bloc, simultanément, mais avec des points de vues variables, sur la Tour Eiffel par exemple, diffractée dans l'espace en triangles verts); et temps figuré par l'effet du mouvement global. Par exemple, l'effet de rideau en mouvement donné par les formes géométriques obliques à droite. En même temps, comme le dit Delaunay, toute les parties de la peinture apparaissent simultanément ; il n'y a pas de hiérarchie (ni iconique ni chromatique).
L'orphisme crée aussi une tension dynamisme entre forme plastique pure (presque abstraite) et figuration iconique : sans arrêt, on croit voir une forme, puis elle nous échappe. 
DELAUNAY Robert, 1912, Les Fenêtres simultanées sur la ville, 40x46 cm, huile sur toile et cadre en bois peint, Kunsthalle Hamburg.

  • Encore plus que le fauvisme, l'orphisme montre une oscillation forte entre bidimensionnalité et creusement illusionniste traditionnel issu de la Renaissance. Ces deux mouvements défont la logique de la représentation illusionniste par l'utilisation exaltée et dynamique de la couleur, là où cubistes et futuristes le font par la décomposition de la forme ou du point de vue. Ils illustrent à leur manière la fameuse phrase de Maurice Denis citée plus haut : Ils assignent au tableau d'affirmer sa nature concrète de toile plane, avec une logique organisationnelle interne relevant de la plasticité, autonome de toute réalité iconique. Représenter un sujet identifiable devient de plus en plus secondaire, et s'efface devant la logique plastique interne de la toile. C'est dans ce contexte de logique plastique autonome, interne au tableau, que va naître l'abstraction dans ces mêmes années 1910 - 13 (voir 1ère diaporama sur le Ciel).

  • ...Liens avec Duchamp ? 
Duchamp après une appropriation rapide (1910 -1912) des trouvailles du fauvisme et de l'orphisme va délaisser la question de la couleur.


DUCHAMP Marcel, Nu aux bas noirs,1910,
 Collection m. et mme Marcos Micha, Mexico F.D
DUCHAMP Marcel, La Sonate, 1911, Huile 

sur toile,145.1 x 113.3 cm, 
Philadelphia Museum of Art.

Recherches de Duchamp, à partir de 1913. Reproduction par Richard Hamilton de la décomposition du mouvement des "Tamis", du Grand Verre, réalisés avec de la poussière maintenue et teintée par du vernis de plus en plus foncé : décomposition du mouvement / de la lumière.


En revanche, le contexte esthétique complexe et bouillonnant qui dissocie niveau plastique et iconique dans un tableau et va permettre l'abstraction (càd une désunion complète du référent iconique et de sa traduction plastique) est sans doute à mettre en relation avec la propre liberté intellectuelle de Duchamp dans toutes les dissociations auquel il procède (entre les mots, entre les titres et les objets, etc). Déstructurer les apparences pour aller au-delà, se défaire de l'imitation pour aller au-delà du visible, voilà ce qu'il cherche à mettre en place à partir de 1913 et jusqu'en 1925 dans ses recherches pour Le Grand verre
L'oscillation entre bi-dimensionnalité concrète du tableau et recherche de la troisième dimension est à mettre en lien avec toutes ses recherches sur les systèmes perspectifs issus de la fenêtre albertienne et de projection sur un plan (l'ombre portée, le géométral, les déformations perspectivistes mathématiquement obtenues, anamorphoses, ellipses, etc), ainsi que l'inscription de l'espace et du temps réels dans l'oeuvre grâce à la transparence du verre. Par exemple, dès 1913 : 



   

Marcel DUCHAMP, Glissière contenant un moulin à eau (en métaux voisins), 1913-15, Huile, fil de plomb, plomb sur verre monté sur métal,  deux charnières, 147 x 79 cm, The Philadelphia Museum of Art.

Dispositif articulé montrant le dessin très net d'une machine coulissante : c'est un assemblage de Chariot et de roue de moulin à eau, dont les axes et "chenilles" évoquent des mouvements potentiels dans des directions différentes. La figuration est codée à la manière d'un dessin technique de pièce industrielle simplifié ; le panneau de verre (D de Duchamp ?) affirme la planéité du support par son cadre marqué ; il est fixé sur des charnières qui permettent une rotation réelle. On cherche en le manipulant à avoir une vision moins brouillée du chariot et du moulin, créant au contraire des anamorphoses (où point de vue perspectif et angle de vue assigné au spectateur sont disjoints en une anomalie visuelle volontaire.) C'est en fait en observant l'ombre portée sur le mur que l'on rétablit une perspective lisible, volume illusionniste parfait.
Voir ombres portées dans ce film pris par un amateur / en profiter pour voir toutes les oeuvres préliminaires au Grand Verre, en flottaison dans l'espace :
Vidéo (3mn37) montrant les oeuvres préliminaires au Grand verre, notamment la glissière et son ombre portée. ICI : Glissière et autres tableaux en verre

> Glissement de l'esprit vers des "Régions plus verbales" : Glissements techniques, plastiques, sémantiques : la glissière, pièce mécanique, est nommée (titre) mais absente du dispositif concret (ce sont des rails, pas des charnières, qui permettent à un objet de coulisser) ; le glissement du tableau et remplacé par une rotation par charnières ; figures qui glissent "mécaniquement" dans une logique et avec les codes visuels d'un dessin technique (à gauche, à droite par l'axe horizontal de la roule du Moulin ; peut-être vers le haut et bas par l'axe vertical du chariot) ; l'oeil et le corps du spectateur doivent glisser littéralement pour tenter de rétablir le bon angle de vue sur la perspective. Figure glissante au sens figuré : qu'on a du mal à saisir, qui échappe, ne semble pas dans le bon espace. Elle glisse (s'échappe) de la bidimensionnalité vers l'espace réel, en flottaison, quand on fait tourner le panneau sur son axe. Perspective = conduire l'oeil vers le lointain (le faire glisser de la 2ème à la 3ème dimension illusionniste). Verre : fait glisser le regard d'une représentation du réel (la réflexion de l'espace réel intégre l'image des spectateurs), vers l'espace réel (le regard traverse le verre transparent et perçoit les spectateurs réels).

Autre basculement, ci-dessous, montrant le brouillage du dessin.



Man Ray, Glissière tenue par Marcel Duchamp,
(Duchamp derrière moulin),1920, photographie argentique, 18 x 24 cm


Marcel DUCHAMP, La Mariée mise à nu par ses célibataires, même 
ou le Grand Verre, 1915-1923,
huile, feuille de plomb, fil de plomb, poussière et vernis sur deux plaques de verre (brisées), enserrées dans deux autres plaques de verre et un cadre en bois et acier, 272,5x175,8 cm, Philadelphie, The Philadelphia Museum of Art.

A l'arrière-plan, la présentation intègre Glissière contenant un moulin à eau (en métaux voisins), 1913-15, les lignes des murs et du sol, et l'ombre portée sur le sol du Grand Verre.


Grand Verre : Mouvement réel de l'oeil, de l'esprit et du corps, pour comprendre les différents points de vues juxtaposés et superposés d'objets dont la mise en perspective obéit à des points de fuite différents / assignant un angle de vue différent au spectateur : celle des corps-machines (de g. à d.: "moules", "broyeuse", "tamis" en mouvement), celles des disques en perspectives (axe absent). La paroi met toutes ces représentations au sens propre et figuré "sur le même plan".   Elle les brouille aussi : la transparence intègre l'espace réel, permet d'autres superpositions et juxtaposition de réalités (points de fuites, angles de vue).


III- Mouvement / temps : la quatrième dimension :
Duchamp (1887-1968) a une vingtaine d'années et va absorber en deux ans les trouvailles de ses aînés fauves, cubistes, futuristes : de 1910 à 1912. Il va mêler et synthétiser de façon personnelle les différentes les buts et techniques des avant-gardes, en mettant rapidement de côté la question du chromatisme dynamique des fauves et de l'orphisme. Ce qui l'intéresse dès le départ chez ces avant-gardes est ce qui est montré de manière implicite car irreprésentable en 2 dimensions : le mouvement et le temps. Ce sont dès le départ des notions récurrentes dans son oeuvre, objets de nombreuses discussions avec ses amis cubistes et simultanéites autour des théories d'Einstein sur une possibilité d'une quatrième dimension ou espace et temps seraient liés simultanément.


"Entre deux parties d’échecs, tous commentent les recherches menées par Albert Einstein et Henri Poincaré, qui remettent en cause le monde visible et la géométrie euclidienne, les notions de temps et d’espace, formulant l’hypothèse d’une quatrième dimension (invisible) où tout est simultané (et en relation)(La géométrie euclidienne est à 2 ou 3 dimensions, selon qu’on trace des figures dans le plan ou en volume.)"

- Duchamp prendra, comme nombreux des peintres contemporains, cette 4ème dimension au pied de la lettre, la cherchant plastiquent, essayant de la montrer de manière personnelle : une dimension qui fait basculer les points de vue sur un objet, les enchevêtre, les brouille, crée un nouvel espace incertain, ni vraiment en deux dimensions, ni vraiment en trois dimensions ; ni dans l'espace de représentation, ni dans l'espace réel, (en flottaison entre tous ces espaces) et qui évolue selon le déplacement physique du spectateur (selon une temporalité réelle). Dans le Grand Verre, tout se déforme selon cette temporalité du déplacement (cf flottaison des dessins, brouillage par transparence du verre et superposition des ombres portées au sol) : avec le Grand Verre, il aboutit à une dématérialisation de l'espace.

- D'autre part, la 4ème dimension chez Duchamp est aussi un jeu de langage, qui vise tout ce qui n'est pas visible, tout ce qui est sous-jacent : la dimension "verbale" (les idées, les représentations mentales) ou érotique (le désir érotique, la pulsion scopique") (=pulsion de voir, de scruter, d'aller observer le dessous des choses). 

> Voir, observer, regarder, tenter de comprendre derrière le visible et voyeurisme sont liés chez Marcel Duchamp.

(...) Quel est cet(te dimension) invisible que Duchamp veut montrer ? (Celle) des idées, de l’âme et des mouvements du corps, des pulsions érotiques, du temps et de l’espace qui se déforment. 
 CENTRE G. POMPIDOU DOSSIERS PEDAGOGIQUES, MARCEL DUCHAMP, LA PEINTURE MÊME 
ICI : Duchamp et la quatrième dimension Texte de référence : Etats d'âme, quatrième dimension, simultanéité.

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- En quoi le Grand verre fait-il penser à la fenêtre albertienne ? (qui est Alberti ???)
- En quoi ces photographies partielles du Grand Verre peuvent-elle renvoyer à la quatrième dimension ? (Visionner la vidéo ci-dessous) 
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DUCHAMP Marcel, Grand verre (détail), 
1915-1923. Duchamp préconisait d'installer
l'oeuvre sur un fond de ville en fête ou
d'océan, dans un contexte en mouvement, 
vivant.

DUCHAMP Marcel, Grand verre (détail), 1915-1923, 
effets d'ombres portées au sol (blog Diagonalesdutemps).





Marcel DUCHAMP, La Mariée mise à nu par ses célibataires, 
même ou le Grand Verre, 1915-1923 (détail : partie basse 
devant un fond blanc), Musée de Philadelphie.










Témoins oculistes (motif du Grand Verre)
réplique de Richard Hamilton,
Tate Gallery, Londres





Dessin industriel actuel pour mécanisme de montre.
Duchamp photographié par Hamilton derrière
une version des Témoins occultistes.

DUCHAMP , À regarder (l’autre côté du verre) 
d'un œil, de près, pendant presque une heure, 1918, 
Huile sur papier argenté, gros fil de plomb, et 
lentilles grossissantes sur un support de verre
49,5x39,7cm monté entre 2 nouveaux panneaux 
de verre, sur socle en bois peint.
          
Eclats de verres brisés en gros plan, laissés tels quels et se surajoutant aux tracés manuels du
Grand Verre, Musée de Philadelphie.
merci au collègue d'arts plastiques de Simone Veil, site artplastic.


Les Témoins occultistes : Ces disques en perspective proviennent du basculement géométriquement construit du petit cercle en trois ellipses successives, ce qui est le principe d'un "géométral" (=la construction géométrique mathématique rigoureusement obtenue, rayon par rayon, de la courbure de l'ellipse ou de toute autre forme en 3 dimensions à partir de sa forme vue à plat). Ce basculement de l'espace frontal (2 dim) en espace perspectif (illusionniste, 3 dim) reproduit le basculement du regard (vue d'en haut, plongée radicale >vue latérale, plongée légère).

> Vers des "Régions verbales", le titre : Un témoin est passif ; un oculiste (ancien mot pour ophtalmologue), est actif, il soigne les yeux, la vue, le regard ; de ce qui la gêne, l'encombre, l'empêche de voir (myopie, lunettes). Ce dessin mécanisé, sans affect, sans trace de la main, qui décompose le procédé du géométral (basculement perspectif), témoignerait de la nécessité de soigner la rétine de son désir esthétique et purement rétinien ? Le cercle de base joue comme une loupe, une lentille, un anneau, un "oculus" (petite fenêtre ronde, cf Le Petit Verre) qui devient cylindre en réserve : l'axe des ellipses par par lequel on voit, dans lequel notre regard "tombe". En même temps, le verre transparent laisse passer l'oeil sur la présentation illusionniste du réel, et brouille les repères bi ou tri-dimensionnels.


IV- 1913-1923 : Recherches préliminaires au Grand Verre, Grand oeuvre qui tourne le dos à la tradition ; fin de l'art qui montre la vision comme phénomène au l'art qui désigne le Désir comme moteur.

La Mariée mise à nu par les Célibataires, même (dit Le Grand Verre) : Ce tableau immatériel, sorte de vitrail laïc transparent, est l'aboutissement de 10 années de recherche sur la quatrième dimension (de l'espace-temps et du désir).
Le sens y reste énigmatique et ouvert ; laissé inachevé, le tableau est indissociable de la profusion de notes manuscrites de Marcel Duchamp qu'il rassemble en 1934 dans une boîte luxueuse, nommée la Boîte verte.
Jeu de spéculations mentales et poétiques, sous une forme plastique et littéraire, ce Grand Verre propose de personnages qui incarnent toutes les étapes d'une élaboration intellectuelle. 
Partie basse (des Célibataires de l'art) et partie haute (La Mariée mise à nu) sont soudées à l'horizon du regard (partie médiane concrète en métal) : l'horizon des artistes célibataires est la Mariée (la Peinture, ou la femme prête à s'unir, figure du désir). 
Le désir est figuré sous forme de gaz émis par les Célibataires, qui s'enflamme et vient faire tourner ou utiliser le  mouvement et l'énergie de toutes les machines du bas (la broyeuse de chocolat ; le moulin à eau, monté sur le charriot à glissière et les grands ciseaux ; sous le contrôle des Témoins occulistes). Au delà de leur aspect arbitraire et incompréhensible, tous ces mots revêtent des doubles sens, selon que l'on parle du désir de l'artiste de réaliser une création (et ne pas rester un célibataire de l'art, c'est-à-dire un simple répéteur de modèles, cubistes ou futuristes par exemple) ; ou du désir érotique (des hommes pour les femmes). Les deux désirs (artistique et érotique) ont un commun carburant pour Duchamp, sont de même nature.


Extrait de Duchamp du Signe, de Marcel Duchamp (1975-1998) :
" A partir de 1913, je concentrai toutes mes activités sur l'elaboration du Grand Verre et fis une étude de chaque détail , comme cette huile...  Elle fut en fait inspirée par une machine à broyer le chocolat que j'avais vue dans la vitrine d'une confiserie à Rouen. Par l'introduction de la perspective directe et du dessin très géométrique d'une broyeuse bien définie comme celle-ci , je me sentis delivré à jamais de la camisole cubiste. Les lignes des trois cylindres sont faites de fils cousus sur la toile. L'effet général est celui d'une interprétation architecturale et sèche de la broyeuse de chocolat purifiée de toutes les influences passées. Ce motif devait être placé au centre d'une grande composition et devais être copié et transféré de cette toile sur le Grand Verre."







VOIR VIDEO, Voyage à travers le Grand Verre (14 mn 34), "merveilleux conte de fée des temps modernes".Quand la 3D infographique permet de "faire tourner" les différents angles de vue et de "pénétrer dans la 4ème dimension temporelle (et poétique) du Grand Verre :   


Voir le très bon article, avec reproductions éclairantes d'un collègue professeur d'arts plastiques au collège Simone Veil, ICI : http://arplastik-simoneveil.blogspot.






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PROPOSITIONS de CREATION - au choix -4 semaines : rapporter finalisé, ac carnet de trvl
•  "Diagonales du temps" (Tous moyens)
•   Mon travail dure longtemps - et ça se voit.
REF/ DIBBETS - AI WEI WEI (doigt, tombé) DUCHAMP Mariée (pt de vue) - Etant donnés (caché) BLAZY vidéo prtq eph OROZCO crâne - J.GERTZ Vivre - pavés - ABRAMOVIC Artist is - POUSSIN Salomon - Danse vie - et in Arcadia - HOLBEIN Ambassadeurs.
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HDA / Revoir diapo ciel XIX ème/XXème s. - 5 QUESTIONS A PREVOIR : 1 par semaine.
DOCS Bac / lire - pour dans 3 semaines.
UNE EXPO / à voir - restituer tous les deux mois : oct / dec / fev / av.
PRTQ PERSO / essais, expérimentations expériences (dans carnet ou ailleurs) : à montrer 1 fois par trim : nov / mars / mai.
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PRTQ / Nus célèbres "Copiez !" 2H / ORL 1/2 H
PRTQ S2 / 2H - suite et fin - Reprise du même travail Reprise du même travail "Copie d'artiste émancipé : reprendre, refaire, défaire." REF/ 1H.
(PRTQ S3 / ORL / 1H "Présentez notre travail ; référence artistique associée si possible").

Nus célèbres en livret : nus allongés GIORGIONE MANET DE STAEL KLEIN / 
nus debouts  BOTTICELLI  REDON DUBUFFET Kiki SMITH 
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